Les Vieux sont nerveux regarder en ligne avec sous-titres anglais

Théâtre Fontaine 1984

J'espère que vous regretterez pas d'être venus. Enfin, je veux dire, j'espère que vous le regretterez pas autant que je le regrette moi-même.
Je veux dire qu'en ce qui me concerne j'aimerais mieux être ailleurs, parce que je n'ai ni envie de rire ni envie de vous faire rire.
A l'heure où je vous parle, je sais pas si ça se voit, je m'emmerde profondément. Puis je me sens extrêmement gêné d'être ici debout comme un con devant vous, qui êtes là assis comme des cons. Ayant reçu une éducation bourgeoise, discrète et feutrée, au cours de laquelle m'ont été conjointement inculqués le respect des bonnes manières et le mépris de toutes les formes de vulgarité, vous comprendrez aisément ce qu'il y a d'humiliant pour moi dans le fait de m'exhiber ainsi devant un parterre de zozos plus ou moins rigolards, dont la plupart si ca se trouve, ne sont même pas de mon milieu social. Pour ne rien arranger, j'ai horreur que l'on m'applaudisse, je vous le dit tout de suite.
L'applaudissement, c'est jamais qu'une manifestation tout à fait instinctive du système nerveux cérébro-spinal, par laquelle le chimpanzé ou la ménagère manifestent leur joie frénétique incontrôlée, à la vue d'une banane, ou de Julio Iglesias. C'est vrai, à la seule idée que vous pourriez m'applaudir, j'ai déjà honte pour vous. Je regrette vraiment de devoir dire ces choses là à des gens qui se sont déplacés, pour certains, d'assez loin, dans le seul but d'oublier un instant leur métastases et l'invasion désormais imminente de notre pays par les forces du Pacte de Varsovie. Mais bon, vu la tournure que ca prend, il me semble que ça serait plus raisonnable pour moi que je m'en aille maintenant. Je pense que je vais aller me détruire. D'ailleurs, il est beaucoup trop tard pour aller draguer au rayon lingerie des Galeries Lafayette. Non mais vraiment je vous assure, je suis désolé d'en arriver là, mais. comment dire? je vous aime pas, voilà.
Je voudrais bien vous aimer, mais je ne peux pas! Vous voyez bien que je suis trop différent! Dieu a divisé l'humanité en deux grandes catégories, les juifs et les antisémites, d'accord. Moi, je ne suis ni l'un ni l'autre, je suis ni juif ni antisémite, alors vous voyez bien que je suis différent, et que je ne peux pas vous aimer.
Oh! Je sais aussi que Dieu a dit. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", c'est vrai, je sais. Mais d'abord, Dieu ou pas, j'ai horreur qu'on me tutoie, et puis je préfère moi-même, c'est pas ma faute!
Vous rigolez, mais je vais vraiment me détruire, hein! D'abord j'aime beaucoup la mort, et puis je suis un homme fini, je suis entré dans l'âge mûr, et l'âge mûr, par définition c'est l'âge qui précède l'âge pourri.
Intellectuellement, artistiquement, scientifiquement, même physiquement, je baisse. Sur le plan artistique, par exemple, je suis complètement largué; quand les mômes me parlent de rock, j'arrive pas à suivre. C'est bien simple, depuis la mort de Georges Guétary, j'écoute même plus de musique. Vous voyez où j'en suis.
Scientifiquement, c'est pas mieux, comme vous me voyez, je suis incapable de reconnaître un rayon laser d'une corde à linge ordinaire, ou un chien qui pète d'un avion qui renifle. Et pourtant, la science, c'est pas de la merde, justement! Le savant le sait bien, lui, que sans la science l'homme ne serait qu'un stupide animal sottement occupé à s'adonner aux vains plaisirs de l'amour dans les folles prairies de l’insouciance, alors que la science, et la science seule, a su lui apporter patiemment, au fil des siècles, le parcmètre automatique et l'horloge pointeuse sans lesquels il n'est pas de bonheur terrestre possible.
C'est quand même grâce aux progrès fantastiques de la science que désormais nous savons que, quand on plonge un corps dans une baignoire, le téléphone sonne.
C'est grâce aux progrès fantastiques de la science que désormais l'homme peut se rendre, en moins de trois heures, de Moscou à Varsovie.
Et, si y avait pas la science, si y avait pas la science, malheureux cloportes, boursouflés d'ingratitude aveugle et d'ignorance crasse, si y avait pas la science, combien d'entre nous pourraient profiter de leur cancer pendant plus de cinq ans? Et n'est-ce pas le triomphe absolu de la science que d'avoir permis qu'aujourd'hui, sur la seule décision d'un vieillard californien impuissant, ou d'un fossile ukrainien encore plus gâteux que l'autre, l'homme puisse en une seconde faire sauter quarante fois sa planète, sans bouger les oreilles!
C'est pas moi qui le dis, c'est Fucius, croyez-moi, il avait oublié d'être con. Fucius disait. "Une civilisation sans la science, c'est aussi absurde qu'un poisson sans bicyclette."
Physiquement, alors c'est pire que tout. Physiquement je baisse, je baisse, je baisse. Je sens bien depuis quelque temps que je m’essouffle beaucoup trop bruyamment, anormalement, dans certains escaliers trop raides ou dans certaines femmes trop molles. Ah ben oui! je baisse. C'est plus vivable. Autant en finir.

Avant de me détruire, toutefois, je pense que ce serait bien que je vous fasse part de mes dernières volontés. D'ores et déjà, j'ai décidé de faire don de mes abats à la science. justement. S'il reste des morceaux de viande, après ces prélèvements, eh bien, je souhaite vivement qu'ils soient jetés aux ordures dans un sac poubelle, si possible bleu, ça me rappellera mes vacances à Corfou.
Que penser de la mort en tant que service public?
Eh bien, à mon avis - qui se trouve être l'avis de référence auquel j'ai le plus volontiers tendance à me ranger, quand il m'arrive de vraiment vouloir savoir ce que je pense -, à mon avis la mort devrait être un service public gratuit pour tout le monde, par exemple comme la naissance.
D'ailleurs, l'heureux temps chanté par Brassens où les gens avaient à coeur de mourir plus haut que leur cul, eh bien, c'est un temps qui est révolu maintenant. On vit désormais dans une démocratie couchée, et il est naturel que les morts donnent l'exemple de l'humilité.
N'empêche qu'il avait le sens de la formule, le père Brassens; c'est joli "les gens avaient à coeur de mourir plus haut que leur cul".
Moi, j'avais une passion pour Brassens.
Un de mes grands regrets, c'est de ne pas l'avoir connu de son vivant. Brassens, le seul rapport que j'ai eu avec lui, c'est un rapport téléphonique. Il m'a téléphoné un jour chez moi. C'était peu de temps avant sa mort.
Il m'a dit, je me rappelle ses mots exactement. "Allô, monsieur Desproges, je suis Georges Brassens, je vous téléphone pour vous dire que j'aime beaucoup ce que vous faites."
Je lui ai répondu que moi aussi j'aimais beaucoup ce que je faisais, évidemment. C'était bien notre point commun, à Brassens et moi.
Je déconne, là. Je ne pense pas ce que je dis, là. Non, en fait, j'aimais vraiment Brassens. J'ai pas peur de l'avouer, j'avais quarante ans passés, eh bien, le jour de la mort de Brassens, j'ai pleuré comme un môme. J'ai vraiment pas honte de le dire. Alors que - c'est curieux - mais, le jour de la mort de Tino Rossi, j'ai repris deux fois des moules.
Bon allez, assez parlé des morts. D'ailleurs, on ne devrait parler que de ce qu'on a vu, on dirait sûrement moins de conneries.
Encore que. hé! dites! si on ne devait parler que de ce qu'on a vu, est-ce que les curés parleraient de Dieu? Est-ce que le pape parlerait du stérilet de ma belle-soeur? Est-ce que Giscard parlerait des pauvres? Est-ce que les communistes parleraient de liberté?
Est-ce que je parlerait des communistes?

Oh, puis merde, j'ai pas tellement envie de me détruire, moi, finalement. Je vois pas pourquoi j'irais me foutre en l'air sous prétexte que j'ai rien à dire à une brassée de désoeuvrés qui viennent mater mes états d'âme, uniquement parce qu'il y a plus de place sur l'autoroute du Sud? Vous savez ce que vous êtes, tous, là? Vous êtes des voyeurs, voilà, je l'ai dit, ca y est! Et des voyeurs qui paient pour voir un exhibitionniste, eh bien, je vous le dis comme je le pense, c'est petit.
Puis d'abord, le suicide, ça s'improvise pas comme ça. Qu'est-ce qu'y a pour se suicider Y a le gaz, la noyade, pffff! en ce moment, tu parles! Le pistolet, la corde. la corde.
Hé! je dis exprès la corde, parce qu'il existe une superstition très tenace dans le métier de la scène, qui veut que personne, jamais, quoi qu'il arrive, personne ne prononce le mot de corde sur une scène, parce que ca porte malheur, à tous les coups. Ou c'est un projecteur qui tombe sur le public, ou alors le théâtre brûle, avec le pompier dedans, ah ben oui.
Je m'en fous que ça porte malheur, j'adore le malheur, y a plus que ça qui m'excite.
Alors, qu'est-ce que je disais? Oui, alors, le gaz, la noyade, pistolet, pfff! faut toujours choisir, c'est pas marrant. J'ai jamais su choisir.
Et pourtant, il faut toujours faire un choix, comme disait Himmler en quittant Auschwitz pour aller visiter la Hollande, on peut pas être à la fois au four et au moulin! Mais ne vous moquez pas de Himmler, c'était pas un imbécile, Himmler. C'était un homme capable d'une grande concentration.
Alors, le gaz, pfff! J'ai jamais su choisir. Tout dans la vie est affaire de choix, finalement, ça commence par la tétine ou le téton, ça se termine par le chêne ou le sapin, et puis d'ici à là, de sa naissance à sa mort, l'homme est en permanence confronté à des choix.
Mais que choisir?
Fromage ou dessert? La bourse ou la vie? La cigale ou la fourmi? Le sabre ou le goupillon? Jacob ou Combaluzier? Labourage de crâne ou pâturage de dents? La gauche ou Mitterand? Un baril de merde, ou deux barils d'une lessive ordinaire? Eh bien, je ne sais pas.
Je suis dubitatif.
Eh! C'est pas cochon, dubitatif. C'est en un seul mot, hein dubitatif. Ca veut pas dire éjaculateur précoce. Ca veut dire que je suis dans le doute, voilà. Je suis dans le doute. Tiens! le doute m'habite.
Tout au cours de mon existence, qui n'aura été finalement qu'une féerie d'aventures extraordinaires et riches en rebondissements sur d'innombrables sommiers dont j'ai oublié le nom, tout au cours de cette existence, j'ai été maintes fois confronté à des choix très difficiles.
Songez que j'avais trente-cinq ans en 1940. Si, si, c'est vrai, j'en ai soixante-dix neuf, là, aujourd'hui. C'est vrai! Quoique, je sais que je ne les fais pas.
Si j'ai su, jusqu'à aujourd'hui, conserver ce teint de jeune fille, c'est que je prends soin de retarder le vieillissement de mes cellules, en menant une vie d'ascète, d'une part, et d'autre part, en consommant des bananes, car la banane vaut un steak, de cheval! Encore que, je préférerais un cheval entier à cause de la douceur du regard qu'on ne retrouve pas dans la banane.
Bon alors, que choisir quand on a trente-cinq ans en 1940, disais-je lorsque je fus assez grossièrement interrompu par moi-même malgré mes remarques réitérées?
Eh bien, pour être tout à fait franc, en 1940, j'ai longtemps hésité entre la Résistance et la collaboration.
Il faut bien voir qu'en une période ennuyeuse comme le fut celle de l'Occupation - songez qu'en 1940 Patrick Sabatier n'était même pas né. Pour vous dire à quel point on pouvait s'emmerder! Qu'est-ce que vous avez tous contre ce jeune homme? Hein? Oui, moi aussi j'ai connu des topinambours qui avaient le regard plus vif! C'est vrai aussi que si on épluche un topinambour, en dessous, y a quelque chose! Bon enfin, on n'est pas là pour faire chier les rhizomes -, je disais que dans une période ennuyeuse comme le fut celle de l'Occupation, la seule distraction qui se présentait au Français, après la messe, c'était de faire ou de la Résistance, ou de la collaboration.
Mais là encore, que choisir?
Alors bien sûr, la collaboration, c'était le bon droit, la respectabilité, un prie-Dieu réservé à Saint-Honoré-D'Eylau, les amitiés de Pierre Laval assurées, les indulgences de Pie XII également, et puis des places de faveurs aux concerts de Tino Rossi et de Maurice Chevalier.
Oui, mais la Résistance, c'était la vie au grand air, youkaïdi youkaïda!
Oui, mais la collaboration, c'était la possibilité d'apprendre une jolie langue étrangère à peu de frais.
Oui, mais dans la Résistance, on se cultivait pas l'âme, mais on rigolait bien. Boum, le train! Boum, la voie ferrée! Tagadagada, le petit viaduc, ouais j'l'ai eu, ouais j'l'ai eu!
Oui, mais dans la collaboration, on faisait pas sauter des ponts, mais on pouvait sauter des connes!
Oui, mais pour bien gagner sa vie, dans la collaboration, fallait dénoncer les juifs. C'est pas très joli, comme occupation, pour gagner sa vie, de dénoncer les juifs.
Oui mais, dans la Résistance, on dénonçait pas les juifs, mais fallait vivre avec!
Enfin, bref, à force de tergiverser, j'avais toujours pas pris de décision le 25 août 1944, quand j'ai vu soudain des centaines de chars déboucher dans la rue de Rivoli. Je me rappelle très bien ce matin-là. il faisait un temps magnifique, je me promenais sous les marronniers du jardin des Tuileries, quand soudain, c'est arrivé. Le fracas des chaînes des tanks faisait trembler la poussière. Une jeune inconnue s'est approchée de moi, elle était belle, blonde, au regard bleu.
"Monsieur, s'est-elle écriée en me pressant le bras, avec des larmes de joie dans les yeux, monsieur, regardez, mais regardez, c'est l'armée française, la vraie, les Forces françaises libres, mais votre pays est libéré, monsieur!
- Pourquoi dites-vous "votre pays"?
- Oh! c'est que moi-même, monsieur, je ne suis pas française, je suis citoyenne helvétique, de Berne."
Elle avait en effet un assez fort accent germanique.
J'ai juste eu le temps de la tondre, les FFI arrivaient.

Ils se barrent pas.
Vous ne vous barrez pas?
Moi, je vous comprendrais si vous partiez. Moi, je sors jamais le soir de toute façon. J'ai horreur de ça. Même si c'est pour voir un spectacle qui sort du commun, j'y vais pas.
D'abord, j'aime mieux me faire chier tout seul que d'être heureux avec les autres. J'ai horreur de partager un plaisir quel qu'il soit, avec une bande de cadres ou un troupeau de handicapés. C'est pas de ma faute, je hais l'humanité. C'est dur à vivre, pour moi. Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien. Plus je connais les femmes, moins j'aime ma chienne.
Puis d'abord, je sais pas ce que je fous là, j'aime pas ce que je fais.
En fait, j'aime pas ce merveilleux métier de la scène et du spectacle, ce merveilleux métier de la scène et du spectacle qui s'enorgueillit à juste titre de nombreux rituels, de nombreuses coutumes, toutes plus grotesques les unes que les autres. C'est vrai.
Tenez, y a une coutume du spectacle qui me les gonfle singulièrement - et d'ailleurs c'est très bien que je vous en parle dès maintenant, tout de suite - c'est. les rappels.
C'est totalement absurde, les rappels.
Enfin, écoutez, dans la vie normale, dans la vie courante, quand un type a fini son boulot, qu'est-ce qu'il fait? Il dit au revoir, et il s'en va. Voilà. Il ne revient pas. enfin, on n'imagine pas un plombier, par exemple, resonnant à la porte, après avoir réparé une fuite, juste pour refiler un petit coup de clé de douze.
Eh bien, moi, je suis comme le plombier, quand j'ai fini, j'ai fini. Pas la peine d'insister. Ou alors, si vous voulez un rappel, je veux bien, mais maintenant.
Encore que. ça ne soit pas évident.
Non, je veux dire que normalement, quand un artiste est rappelé par son public, il lui ressort quelque chose qui l'a rendu célèbre, cet artiste. Et moi, rien ne m'a jamais vraiment rendu célèbre.
Ah si, y a bien un truc qui m'a rendu célèbre, un peu, mais dans ma famille, surtout. C'est-à-dire que j'ai un petit talent d'imitateur. Enfin, je n'imite que les gens de ma famille, et quand on ne connaît pas les gens de ma famille, c'est pas tellement drôle.
Ah si, y a un truc assez marrant que je peux faire, je peux vous imiter mon père qui a un cancer de la gorge, si vous voulez, mais je vous préviens, en général, ça ne fait marrer que mes gosses. Si vous insistez, je vous le fais. Vous insistez? Oui. Bon.
Alors, c'est mon père, qui a un cancer de la gorge et il parle à ma mère.
"Maman. je voudrais. des gauloises. sans filtre."
C'est rigolo, mais c'est pas évident, d'imiter l'accent cancéreux. surtout quand on n'a pas de cancer. J'ai pas d'cancè-re, j'ai pas d'cancè-re.
C'est comme l'accent germanique dont je parlais tout à l'heure. Eh! entre nous, l'accent allemand, c'est nul, alors que l'accent français, lui, est magnifique. Mais ces imbéciles de Teutons, eux, ils sont persuadés du contraire, ils sont persuadés qu'ils ont une très jolie langue. Oui, l'accent allemand est ridicule! Alors que l'accent français est très, très beau, le. les accents français. parce que attention, on en a plein, nous, des accents, oh! la la! plein! tous très beau.
Prenez l'accent provençal, par exemple. Il coule une telle tendresse dans la chanson des mots, cela sent si bon le thym, le romarin, la farigoule et le verbe d'antan. Si, c'est vrai. mon médecin est originaire d'Aix-en-Provence. Il exerce à Paris actuellement, mais il est originaire de là-bas, et il est le premier à reconnaître que son accent chaleureux et rassurant contribue pour beaucoup à attirer les patients chez lui plutôt que chez n'importe quel connard de médecin de Dunkerque avec la mer du Nord pour dernier terrain vague. Oui.
D'ailleurs, je suis allé le voir y a pas une semaine.
J'avais, enfin, j'avais des malaises pas. pas clairs, pas nets, enfin j'étais bouffé d'angoisse, je savais pas ce que j'avais. Je suis allé le voir, il m'a fait déshabiller, il m'a ausculté. je quêtais son diagnostic.
"Docteur, alors qu'est-ce que j'ai?"
Je vous dis, j'étais bouffé d'angoisse, et lui, avec sa bonne trogne méridionale qui s'est illuminée, devant moi, il a posé son stéthoscope, il m'a regardé droit dans les yeux, il m'a dit.
"Ah! putaingue! Ah! putaingue! C'est le cancè-re!"
La Provence, je m'y réfugie chaque fois qu'un sort cruel s'abat sur moi. Au printemps dernier, par exemple, Priscilla venait de me trahir avec ce salaud d'Albert, les inondations, les pluies incessantes m'avaient mouillé le coeur. Je souffrais. Plus la Seine sortait de son lit, plus Albert rentrait dans le mien. Et, pour ne rien arranger, les fûts de dioxyde de Seveso, que je cherchais partout moi aussi - moi, c'était pour y plonger Louis Leprince-Ringuet dans l'espoir de lui dissoudre les oreilles -, eh bien, ces fûts de dioxyde de Seveso, pour tout arranger, ils avaient été retrouvés par un autre que moi, évidemment, par la filière suisse, vous vous rappelez, cette affaire?
Non? C'est pas vieux, ça a moins d'un an, on en a beaucoup parlé. Dioxine. Rappelez-vous les titres du Monde. Le journal le Monde? Vous ne connaissez pas le journal le Monde? Mais si, voyons. le Monde. Le poids de l'ennui et le choc des paupières.
Je me rappelle encore le titre du Monde à la fin de l'affaire de la dioxyde, ils avaient mis sur six colonnes. "Dioxine, deux points, un important groupe de Bâle trempé dans l'affaire." Non, mais ils ont aucun sens du titre, ces gens-là. Ils sont nuls, au Monde. De toute façon, on ne dit pas. un important groupe de Bâle. On dit. une grosse paire de couilles.
Putain de printemps 83! Et j'ai souffert comme ça jusqu'à la mi-juin. J'avais tout donné à Priscilla. Mon nom, ma fortune, l'essentiel de mes mycoses. Privé de son amour, je me sentais seul, si seul, aussi seul que Decker quand Black est aux putes.
Et puis, revoici l'été, sous les grands platanes mouchetés de l'allée Alphonse-Daudet de Fougelas, en Provence, les filles à la peau brune rient en cascade, minces et tendres et nues sous la jupette. Les jours rallongent. Y a pas qu'eux, dit l'obsédé de la rue Tartarin.
Pour être vraiment sincère, la Provence me les gonfle autant que la Bretagne profonde. La bonhomie sucrée de tous ces gros santons mous qui puent l'anis, et qui génocident les coccinelles à coups de boules de pétanque dans la gueule, eh bien moi, ça m’escagasse autant le neurone à folklore que les désespérances crépusculaires de la Paimpolaise qui guette le retour improbable de son massacreur de harengs, la coiffe en bataille et la larme au groin, au pied des bittes de fer fouettées par les embruns!
Sociologiquement lamentable, historiquement minable, géographiquement quelconque, la Provence, finalement, ne brille que par sa cuisine. Ah si! tout de même! Une bonne cigale Melba, je dis pas! Autant le chant de la cigale, qui est assez voisin du cri de la Mobylette, autant le chant de la cigale peut s'avérer exaspérant, autant la chair de cette vermine est succulente.
Vingt ans après, je garde encore à l'âme le goût exquis de la première cigale Melba, dégustée un soir de rut avec Priscilla, à l'ombre d'un de ces grands peuchèriers putassiers venaissins, croyez-moi, c'était délicieux. En plus, non seulement c'est très bon, la cigale Melba, mais c'est un plat qui retarde la sénilité. Si, c'est vrai. Eh! c'est important!
Moi, je veux pas vieillir. Je me vois déjà fripé, racorni, fientant sous moi, désespérément honteux dans ma fétidité dernière.
Et puis, j'aime pas les vieux. Les vieux, ils ont le regard bizarre. Y a des vieux qui ont le regard complètement désemparé. Y a même des vieux qui n'ont plus de regard du tout. rien. le noir.

Théâtre Grévin 1986


On me dit que des juifs se sont glisses dans la salle ?

On me dit que des juifs se sont glisses dans la salle.
Vous pouvez rester. N’empêche que.
On ne m’ôtera pas de l’idée que, pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux juifs ont eux une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi.
Il est vrai que les allemands, de leur côté, cachaient mal une certaine antipathie à l’égard des juifs.
Ce n’était pas une raison pour exacerber cette antipathie en arborant une étoile à sa veste pour bien montrer qu’on n’est pas n’importe qui, qu’on est le peuple élu, et pourquoi j’irais pointer au vélodrome d’hiver, et qu’est-ce que c’est que ce wagon sans banquette, et j’irai aux douches si je veux.
Quelle suffisance.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.
Je n’ai personnellement aucune animosité particulière contre ces gens-là.
Bien au contraire. Je suis fier d’être citoyen de ce beau pays de France où les juifs courent toujours.
Je sais faire la part des choses. Je me méfie des rumeurs malveillantes. Quand on me dit que si les juifs allaient en si grand nombre à Auschwitz, c’est parce que c’était gratuit, je pouffe.
En réalité il y à deux sortes de juifs. le juif assimilé et le juif-juif.
Le juif assimilé à perdu son âme en même temps que son identité. Il bouffe du cochon pas cacher en regardant Holocauste.
Il est infoutu de reconnaître le mur de Berlin du mur des lamentations.
J’en connais. J’en ai plein mes soirées. Ils sont la honte des synagogues.
Ils n’auront même pas la consolation d’être reconnus par les nazis lors de la prochaine.
Le juif-juif, c’est différent.
Le juif-juif se sent plus juif que fourreur.
Il renâcle à l’idée de se mélanger aux gens du peuple non élu. En dehors des heures d’ouverture de son magasin.
Dès son plus jeune âge, il recherche la compagnie des autres juifs. Ce n’est pas facile.
Depuis que le port de l’étoile est tombé en désuétude, il n’est pas évident de distinguer un enfant juif d’un enfant antisémite.
Naguère encore, les juifs avaient les lobes des oreilles pendants, les doigts et le nez crochu, et la bitte à col roulée.
Mais de nos jours ils se font raboter le pif et raccourcir le nom pour passer inaperçus. Voyez Jean-Marie Le Penovitch. Ne dirait-on pas un breton.
Tous les praticiens de la chirurgie esthétique sont juifs.
Tous les médecins sont juifs.
Tous les pharmaciens sont juifs.
Tous les archevêques de Paris sont juifs.
Tous le monde sont juifs.
Pour les médecins, je suis sûr. Tous les médecins sont juifs.
Enfin presque tous.
Le docteur Petiot, c’est pas sûr. Le docteur Petiot, c’est ce médecin parisien qui a démontré en 1944 que les juifs étaient solubles dans l’acide sulfurique. Petiot n’est pas un médecin juif. Léon Schwartzenberg, si.
D’ailleurs il n’y a aucun rapport entre Petiot et Schwartzenberg. Je veux dire que Schwartzenberg, lui, il fait pas exprès de tuer les gens. A propos, c’est pas vrai que les juifs sont vecteur de maladie. Schwartzenberg n’est pas cancérigène, comme disait Reiser, il suffit de ne pas trop s’approcher.
Les juifs-juifs bien sûr ne se marient qu’entre eux.
Je relisait récemment Juifs et Français* d’Harris et Sédouy.
Les auteurs demandaient à une grande journaliste très belle et pleine de talent (que ma discrétion m’interdit de nommer ici) si elle aurait épousé Yvan Levaï dans le cas où ce dernier n’eut pas appartenu comme elle à la communauté israélite.
Cette dame a répondu que non, qu’elle n’aurait probablement pas pu tomber amoureuse d’un non-juif.
Je comprends aisément cette attitude qu’on pourrait un peu hâtivement taxer de racisme.
Moi-même, qui suis limousin, j’ai complètement raté mon couple parce que j’ai épousé une non-Limousine.
Une Vendéenne.
Les Vendéens ne sont pas des gens comme nous.
Il y a barrage des patois, fort lointains. Et puis, nos coutumes divergent, et divergent c’est énorme.
Voilà une femme qui mange du poisson le vendredi en tailleur Chanel.
Moi je mange de la viande le mardi en pantalon de coton.
Il n’y a pas de compréhension possible.
Nous avons notre sensibilité limousine.
Nous avons bien sûr notre humour limousin qui n’appartient qu’a nous.
Nous partageons entre nous une certaine angoisse de la porcelaine peu perméable aux chouans.
Il faut avoir souffert à Limoges pour comprendre.