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Ray Harryhausen, Le Titan des Effets Spйciaux
Un film hommage de Gilles Penso, 2011

Vendredi 14 décembre 2012

Le Titan des Effets Spéciaux (Ray Harryhausen. Special Effects Titan. 2011) documentaire de 90 minutes réalisé par Gilles Penso (historien, journaliste spécialisé dans le fantastique et les effets spéciaux) et produit par Alexandre Poncet (réalisateur, compositeur, journaliste) a été présenté pour la première fois à Paris dans le cadre du Conservatoire des techniques de la Cinémathèque française (atelier animé par Laurent Mannoni), le 14 décembre 2012.
La projection a été suivie d’un débat avec les auteurs et Tony Dalton, coproducteur du documentaire, auteur de plusieurs livres avec Ray Harryhausen (voir liste) et conservateur de la Ray & Diana Harryhausen Foundation. Venu spécialement de Londres, Tony avait apporté avec lui quelques figurines originales issues des collections privées de Ray Harryhausen, à la plus grande joie du public de la Cinémathèque.
Pour ceux veulent tout savoir du maître des effets spéciaux des films comme Les Soucoupes volantes attaquent, Le 7e Voyage de Sinbad ou Jason et les Argonautes. le documentaire de Gilles Penso est une somme chronologique détaillée et « définitive » qui inclue les débuts avec Willis O’Brien et George Pal, la fabrication dans son garage de ses premiers court métrages d’animation et la réalisation de plus en plus complexes des quelques quinze long métrages qui ont assi sa célébrité de 1949 à 1981 (voir liste).

On mesurait mal à quel point l’œuvre de Harryhausen avait influencé les grands réalisateurs de films fantastiques d’aujourd’hui (Tim Burton, James Cameron, Joe Dante, Terry Gilliam, Peter Jackson, John Landis, Steven Spielberg, Guillermo del Toro). idem pour l’animation avec John Lasseter, Nick Park (Wallace et Gromit ) ou Henry Selick (L’Etrange Noël de M. Jack ) ; tous venus témoigner de leur admiration pour celui qu’ils considèrent comme leur père spirituel.

Les superviseurs d’effets visuels Dennis Muren, Phil Tippett, Ken Ralston et Jim Danforth apportent aussi leurs commentaires de professionnels sur la technique d’animation stop motion utilisée par Ray dans les années 1950 à 1970, technique qui constitue une référence à la fois esthétique et historique comparée aux techniques numériques d’aujourd’hui.
Ils restent tous admiratifs de ce parcours hors norme ; c’est pourquoi comme on peut le découvrir dans le film, nombre d’entre eux étaient réunis autour de leur mentor à Londres lorsque, le 29 juin 2010, le Bafta (The British Academy of Film & Television Arts) a remis à Ray Harryhausen un prix spécial pour l’ensemble de sa carrière au cours d’une cérémonie émouvante.

Parmi les autres témoignages à retenir, celui du compositeur Christopher Young qui donne un éclairage sur le rôle joué par Bernard Herrmann dans la bande son de quatre des films de Harryhausen. Et encore quelques évocations comme celle de son plus ancien et fidèle ami, le romancier de science fiction Ray Bradbury (décédé le 5 juin 2012), ou des souvenirs de tournage pittoresques des actrices Martine Beswick (One Million Years B.C .) et Caroline Munro (The Golden Voyage of Sinbad ).
Enfin, Vanessa Harryhausen, propre fille de Ray, vient faire état - avec Tony Dalton - du rôle que la Ray & Diana Harryhausen Foundation devra jouer dans la préservation du patrimoine que laissera un jour à la postérité le « Titan des effets spéciaux ».

A gauche Gilles Penso et Alexandre Poncet, respectivement réalisateur et producteur du film Le Titan des Effets Spйciaux (Ray Harryhausen. Special Effects Titan, 2011) - A droite, Tony Dalton, coproducteur du film et conservateur de la Ray & Diana Harryhausen Foundation, avec Gilles Penso. © Frenetic Arts & The Ray & Diana Harryhausen Foundation.

A travers le récit ci-après, je propose de parcourir la trajectoire unique du grand artiste qu’a été Ray Harryhausen dans l’histoire du cinéma fantastique.

Novembre 1999 - décembre 2012

RAY HARRYHAUSEN, ENTRE CYCLOPES ET GORGONES

par Jean SEGURA

Ray Harryhausen et Jean Segura à Londres le 31 octobre 1996 (photo prise par Sylvie Jacquemin).

Passionné de mythologie et de contes fantastiques, de romans de Jules Verne et de science fiction, Ray Harryhausen a signé les effets spéciaux d'une quinzaine de longs métrages considérés aujourd'hui comme des classiques. Il m'a reçu chez lui à Londres, le 31 octobre 1996. J'ai réalisé ce portrait à la suite d'une longue interview réalisée dans une atmopsphère cordiale pendant laquelle le maître incontesté de l'animation par stop-motion raconte son fabuleux parcours artistique inspiré par l'œuvre de Gustave Doré. Il s'est aussi confié sur sa passion du cinéma, et sur l'arrivée du numérique dans la fabrication des effets visuels des films d'aujourd'hui.

Ce portrait, actualisé en 2012, a fait l'objet d'une publication sur le site Film.festivals.com et de l'article Ray Harryhausen et ses Argonautes dans Libération le 19 novembre 1999. à l'occaion du 8e Festival Jules Verne, à Paris.

LE MAITRE DU STOP MOTION ANIMATION. REPERES

Nй le 29 juin 1920 а Los Angeles, il vit dans le quartier de Baldwin Hills puis а Malibu. Etudes en Californie du Sud au collиge Audubon puis au Manual Arts High School oщ il se passionne pour la reconstitution d’animaux prйhistoriques. Il йtudie ensuite les arts dramatiques, la photographie et la sculpture au City College (Universitй) de Los Angeles, puis la rйalisation artistique et le film а l’Universitй de Southern California. Ami du romancier scйnariste Ray Bradbury (1920-2012) depuis l’вge de 17 ans. A reзu un Oscar а Hollywood en 1991. Vit toujours а Londres (oщ il a emmйnagй en 1961) prиs de Holland Park. Est souvent invitй dans des conventions de SF et des festivals. Une bonne partie des maquettes et dйcors miniatures de ses films sont exposйs en permanence au Studiotour, parc а thиme situй dans les studios de Babelsberg prиs de Berlin. Il aura fêté ses 92 ans en 2012.

Programme du Grauman Chinese Theatre lors de l'avant première de King Kong le Vendredi 24 mars 1933. La sortie nationale se fera le 10 avril 1933

Affiche de George Edward Holl rйalisйe spйcialement pour l'avant premiиre au Grauman's Chinese Theatre en 1933

KING KONG ENTRE LES MURS DU CHINESE THEATER

King Kong (en 1933) produit et rйalisй par Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper est le premier film parlant utilisant des effets spйciaux (rйalisйs par Willis O’Brien - 1886–1962) а base d’animation de figurines articulйes image par image (stop motion). « Willis O’Brien est vraiment le pиre du stop motion aux Etats-Unis puisqu’il a commencй en 1915 et qu’il a crйй les effets spйciaux d’une premiиre version cinйmatographique du Monde Perdu de Conan Doyle rйalisй par Harry Hoyt en 1925 ». La premiиre de King Kong a lieu dans le mythique Grauman Chinese Theater de Hollywood Boulevard.

« Les abords de la scиne йtait dйcorйe faзon jungle avec des flamands roses vivants et une maquette grandeur nature du buste de Kong lui-mкme » йcrit le jeune Ray Harryhausen qui n’avait alors que treize ans.

« L’atmosphиre йtait chargйe de mystиre, de spectacle et d’anticipation (…). Le gorille gйant avait fait plus que stimuler mon intйrкt – dйjа trиs fort – pour les techniques d’animation ; mais va dйvelopper chez moi le goÑ‹t quasi fйtiche de les expйrimenter avec une camйra 16 mm ».

Sous le choc des images du grand singe amoureux, il ne peut encore imaginer que quinze ans plus tard il deviendra le premier assistant de son crйateur, Willis O’Brien, et qu’il le dйpassera en prouesses techniques et en crйativitй. Il commence alors а fabriquer et animer ses propres dinosaures dans son garage.

Willis O'Brien et une des maquettes de The Lost World (1925)

George Pal à la conception de la série animée Puppetoons en 1941

WILLIS O’BRIEN et GEORGE PAL, LES DEUX MENTORS

Aprиs plusieurs annйes d’admiration du travail accompli par O’Brien sur King Kong. Harryhausen prend un jour son courage а deux mains et rencontre le maоtre pour lui montrer des йchantillons de ses propres rйalisations. Il n’a lors que seize ans et reзoit de son mentor ses premiers encouragements et continuera rйguliиrement de lui montrer ses progrиs accomplis pendant la pйriode de la guerre. En 1938-39, Harryhausen dessine ses premiers croquis pour des projets de films d’animation. crйature sur Jupiter, David et Goliath ou Evolution, une йvocation des animaux de la prйhistoire dont quelques plans ont йtй tournйs.

Ces tentatives, mкme inabouties, vont cependant lui servir а s’introduire auprиs de George Pal (1908–1980), autre crйateur de l’animation image par image. Cet animateur d’origine hongroise commence en 1941 а rйaliser des sйries de courts mйtrages pour la Paramount, les Puppetoons (qui vont durer jusqu’en 1949) et prend Ray Harryhausen comme assistant pendant deux ans. Mais la seconde Guerre Mondiale fait rage et le jeune homme rejoint l’Army Signal Corp en 1942 puis passe dans la Special Service Division, unitй de Frank Capra (1897-1991) dans laquelle il reste jusqu’en 1945. Il travaille sur la série documentaire Why We Fight series (Pourquoi nous combattons. Frank Capra, Anatole Litvak, Anthony Veiller, 1945) notamment sur les traveling mattes qui combinent entre elles les prises de vues d'archives.

Why We Figtht . Film en 7 parties dont 6 dans la version distribuée en France (Pourquoi nous combattons ). «1. Prelude to War » (Prélude à la guerre) 1942 ; «2. The Nazis Strike » (Les nazis attaquent) 1943 ; «3. Divide and Conquer » (Diviser pour régner) 1943 ; «4.The Battle of Britain » (La Bataille d'Angleterre) 1943 ; «5. The Battle of Russia » (La Bataille de Russie) 1943 - «6.War Comes to America » (L'Amérique en guerre vous parle) 1945 - «7.The Battle of China » 1944 - Episode supplémentaiire «8. Tunisian Victory » 1944.

Why We Fight série de films de soutien à l'effort de guerre de l'US Army réalisés par Frank Capra pendant la 2e Guerre Mondiale

Affiche française du film Pourquoi nous combattons de Frank Capra. Affiche Imprimeries Rйunies de Lyon

Frank Capra, major de l'Army Signal Corps, rйalise la sйrie Why We Fight (Pourquoi nous combattons, 1945). Photo. Everett

Humpty Dumpty. l'un des quatre contes de Mother Goose Stories

Ray Harryhausen avec ses personnages de Mother Goose Stories

Little Miss Muffet. l'un des quatre contes de Mother Goose Stories

FAIRY TALES UNE ŒUVRE DE JEUNESSE

Dйmobilisй, il entreprend un voyage en Floride, Cuba et Mexico et se remet au travail. C’est а partir d’un stock de pellicule Kodachrome presque pйrimй qu’il rйalise dans son garage de Baldwin Hills dans des conditions trиs prйcaires quatre petites histoires (Little Miss Muffet, Old Mother Hubbard, The Queen of Hearts et Humpty Dumpty ) de deux а trois minutes chacune. Rйunis sous le titre gйnйrique de Mother Goose Stories. ces quatre contes vont former un film d’animation de 10 mn avec une bande son.

Cela a constituй le premier йpisode d’une sйrie de Fairy Tales (contes de fйes) de cinq а dix minutes chacun diffusйs dans des йcoles, clubs, bibliothиques, paroisses а travers toute l’Amйrique ; certains d’entre eux ayant mкme йtй traduits dans plusieurs langues. Little Red Hidding Hood est un autre йpisode de dix minutes. « tandis que je me chargeais du tournage en 16 mm, de la construction, de la conception des marionnettes et du scйnario et de la production gйnйrale, ma mиre s’occupait de faire les costumes et d’habiller les personnages et mon pиre, pendant son temps libre, m’apportait une aide prйcieuse dans la fabrication des armatures et des accessoires ». Une amie, auteur et actrice, Charlotte Knight lui propose d’кtre la narratrice de ce nouveau conte. Mother Goose, Little Red Hidding Hood et trois autres histoires seront ainsi diffusйes par Bailey-Film Associates.

Little Red Riding Hood l'un des Fairy Tales de Ray Harryhausen

Les Fairy Tales de Ray Harryhausen. générique de Rapunzel

Hansel and Gretel. réalisé en 1951 pour la série Fairy Tales

En effet le succиs rencontrй par les deux premiers йpisodes encourage Ray Harryhausen а poursuivre. Hansel and Gretel et The Story of Rapunzel sont deux petits films qu’il rйalise en 1951. Harryhausen y affine lа une technique dйjа utilisйe qui consiste а faire passer un personnage d’une expression faciale а une autre en huit images. Enfin, plus йlaborйe que les prйcйdents, The Story of King Midas est le dernier opus de la sйrie des Fairy Tales.

Mighty Joe Young (Monsieur Joe, 1949) de Ernest B. Schoedsack. Premier long métrage dans lequel Ray Harryhausen va exercer ses talents auprès de son maître Willis O'Brien

Mighty Joe Young (Monsieur Joe, 1949), affiche américaine one sheet

MONSIEUR JOE. UN PETIT FRERE DE KING KONG

Mais son talent d’animateur, Ray Harryhausen va le mettre surtout au service de la fabrication de trucages pour le long mйtrage. « Cela se passait dans une pйriode – les annйes 30 et 40 - oщ peu de gens s’intйressaient а l’animation de figurines ». Prиs de quinze ans aprиs King Kong. Willis O’Brien s’adresse а celui qu’il appelle affectueusement le « petit Harry » pour кtre l’un de ses deux assistants sur le tournage de Monsieur Joe (Mighty Joe Young. 1949). Cet йniиme avatar de « singe gйant » co-produit par Cooper (cette fois-ci avec John Ford) et rйalisй par Schoedsack vaudra а O’Brien un hommage tardif (il ne l’avait pas eu pour King Kong ) avec un Oscar en 1949. Occupй aux tвches de conception et d’organisation, O’Brien laisse l’essentiel de l’animation (85%) du gorille aux bons soins de Harryhaussen qui s’est а cette occasion liй les faveurs de Merian C. Cooper, ce dernier trouvant son travail trиs fluide. Aprиs ce succиs, Harryhausen, O’Brien et sa femme Darlyne vont entamer ensemble un nouveau projet pour la Paramount, TheValley of the Mist. autre histoire de dinosaures, mais qui n’aboutira pas.

The Beast From 20000 Fathoms (Le Monstre des Temps Perdus, 1953) produit par la Warner,affichette belge.

The Beast From 20000 Fathoms (Le Monstre des Temps Perdus, 1953) de Eugène Lourie. Ray Harryhausen signe à part entière les effets spéciaux.

RENCONTRE AVEC CHARLES SCHNEER, UN ALTER EGO

Ray Harryhausen va dйsormais voler de ses propres ailes. La mode est aux monstres arrivés de l'espace par une météorite ou réveillés du fond des mers par les expériences atomiques des hommes qui bouleversent leurs écosystèmes. Les studios nippons Toho avec leur réalisateur vedette Ishirô Honda vont créer Godzilla. dont le premier opus sort en salle au Japon le 3 novembre 1954. Mais aux USA, la Warner a pris de l'avance avec la production en 1953 du film Le Monstre des temps perdus (The Beast From 20000 Fathoms ) rйalisй par Eugиne Lourié (1903-1991), un directeur artistique et chef décorateur d'origine russe, venu en France en 1921 qui a travaillé avec Abel Gance, Georges Lacombe, Jean Renoir, Victor Tourjansky et Marcel L'Herbier. C'est l'occasion pour Harryhausen de signer pour la première fois les effets spéciaux d’un long métrage. Un reptile gйant sorti de la mer envahit New York et s’йnerve contre tout ce qui peut dйfier sa grande taille. phare, immeubles, montagne russe dans un parc d'attraction. Harryhausen y dйveloppe une technique simplifiйe d’animation de marionnettes image par image combinйe avec des acteurs pris dans des dйcors rйels. « J’ai ensuite utilisй cette technique de base, trиs йconomique, au cours de toute ma carriиre ».The Beast From 20000 Fathoms sort aux Etats-Unis le 13 juin 1953, pratiquement trois ans avant le Godzilla de Honda (27 avril 1956) sur les écrans américains.

Le Monstre vient de la mer (It Came From Beneath the Sea ) de Robert Gordon (1913-1990) en 1955 avec Kenneth Tobey (La Chose d'un autre monde [The Thing] d'Howard Hawks), est le premier des trois films de la Columbia pour laquelle Ray Harryhausen signe les effets spéciaux. C'est l'Océan Pacifique qui accouche cette fois d'une pieuvre gйante dérangée par les explosions nucléaires (on la comprend !). La ville martyre sera San Francisco dont le célèbre Golden Bridge ainis que l'Embarcadero (port d'embarcation des ferries) et son beffroi sont sérieusement malmenés par le céphalopode furieux. Ce dernier n’a que six tentacules et n'est donc qu'un "sixtopus". Son démiurge Ray Harryhausen s'en explique "[c'était] pour faire des économies, car detoute faзon on ne voit jamais les huit [tentacules] sortir de l’eau en mкme temps, alors а quoi bon en faire deux de plus ! » De mauvaises langues ont même prétendu n'en avoir compté que cinq. "Si le budget avait été encore plus bas, j'aurais même fait un triprode " ironise Ray Harryhausen.

It Came From Beneath the Sea (Le Monstre vient de la mer. 1955) de Robert Gordon. Image du "sixtopus" de Ray Harryhausen n'a que six tentacules dans la scène de l'Embarcadero. photogramme de la version colorisée de 2007.

It Came From Beneath the Sea (Le Monstre vient de la mer. 1955), affiche américaine one sheet, premier film de Ray Harryhasen produit par la Columbia

C’est sur It Came From Beneath the Sea que Harryhausen va se lier avec un jeune producteur amйricain du nom de Charles H. Schneer (1920–2009). « Nous partagions beaucoup de points de vue, en particulier sur le cinйma ». Les deux hommes vont dйsormais travailler ensemble pendant plus de 25 ans. Sur les quinze longs mйtrages que Ray Harryhausen va signer, douze seront produits par Charles Schneer avec quelquefois Harryhausen lui-mкme comme co-producteur. Ray Harryhausen qui souhaite travailler en toute indépendance, s'accorde avec la Columbia pour louer une grande boutique sur Washington Boulevard à Culver City dans laquelle il installe son studio de tournage et ses maquettes. Pendant sept mois, il tourne ses séquences de It Came From Beneath the Sea tandis que Charles Schneer gère la partie studio à Hollywood.

Seule parenthèse dans son partenariat avec Schneer, il collabore une dernière fois avec son vieux maître Willis O’Brien en 1956 pour The Animal World. documentaire de Irwin Allen qui comporte une séquence préhistorique pour laquelle O’Brien fait les dessins des dinosaures et Harryhausen l’animation. Peu connu en Europe, ce film est pourtant sorti en France et en Belgique en 1956 sous le titre Le Mondes des animaux.

The Animal World (Le Mondes des Animaux, 1955). affiche française "pantalon"

Ray Harryhausen rйalise l'animation des dinosaures dans The Animal World de Irwin Allen, 1955

The Animal World 1955), affiche américaine one sheet .

Mais le film qui a commencй а rendre populaire Ray Harryhausen (du moins en France) est certainement Les Soucoupes volantes attaquent (Earth vs the Flying Saucers ) de Fred Sears (1956), mille fois copiй ou parodiй. Harryhausen crée les soucoupes sur un modèle très simple et très crédible. Il reproduit avec minutie les bâtiments de Washington DC (Maison Blanche, Capitole, obélisque du Washington Memorial, etc) menacés par les envahisseurs extra-terrestres. Il trouve le moyen de donner l’illusion que les OVNI volent vraiment au-dessus de la tête des gens et que les immeubles de Washington sont détruits. Ainsi pour animer les briques qui s’effondrent, il va les attacher à des fils rendus invisibles à l’image. « Il suffisait d’une seule personne pour ça, plutôt qu’une trentaine ». J’ai dйtruit Washington DC longtemps avant Independance Day (Roland Emmerich, 1996, sorti sur les écrans l'année même de notre interview NDLA).

C'est le deuxième film Columbia produit par Charles Schneer. «La faзon dont nous travaillions (…) йtait assez inhabituelle. Dans tous les films que nous avons faits ensemble, je dйveloppais le scйnario dans ses premiиres phases. Notre principal effort n’йtait pas de faire simplement un film а effets spйciaux, mais d’utiliser ces effets pour crйer l’illusion du conte de fйe, d’un film oщ se mкlent le mythe et la fantaisie. Nous йtions les vrais auteurs, impliquйs а toutes les йtapes du film. il s’occupait de la production et moi des aspects techniques. Ces films, produits avec des budgets assez modestes, devaient кtre rйalisйs dans des contraintes йconomiques trиs serrйes. C’est pourquoi (а part pour Le Choc des Titans, produit par la MGM) il n’y jamais eu de stars dans nos films ».

20 Millions Miles to Earth - (A des millions de km de la Terre, 1957) de Nathan Juran - En haut. Image et générique de la version colorisée de 2007. En bas le Ymir, un reptile venu de l'espace au pied du Colisée. Un clin d'œil à King Kong.

20 Millions Miles to Earth de Nathan Juran, 1957. Les routes de l'espace mènent à Rome. Couverture du magazine pulp Amazing Stories

Troisième et dernier film en noir et blanc pour la Columbia, A des millions de km de la Terre (20 Millions Miles to Earth ) est réalisé par Nathan Juran (1907–2002) en 1957. Après New-York, San Francisco et Washington DC, Ray Harryhausen nous transporte à Rome en Italie. Un vaisseau spatial américain revenu d'une mission sur la planète Vénus, s'abîme dans la Méditerranée, libérant avant de couler l'embryon d'une créature reptilienne recueilli par une famille de pêcheurs. Le reptile vénusien, appelé le Ymir, va grandir très vite, s'échapper de sa cage et semer la panique dans la ville éternelle. il va lutter avec un éléphant, détruire les colonnes du Temple de Saturne, dévaster le Forum romain et un pont du Tibre pour finalement se réfugier sur le Colisée qu'il escalade, tel King Kong sur l'Empire State Building.

Avec le Ymir, Ray Harryhausen s'est appliqué à fabriquer une créature fantasque, mi-humanoïde mi-reptile, sans tomber dans l'écueil des monstres de films d'horreur qu'il n'aime pas spécialement. L'hommage au personnage de King Kong est évident. un animal sauvage hors norme, extrait de son milieu naturel contre son gré et incapable de s'intégrer dans le milieu hostile du monde moderne, finit tragiquement en victime de ceux-là mêmes (les hommes) qui étaient allés le chercher. La ville de Rome, avec son histoire et ses monuments antiques, apporte une poésie supplémentaire à ce film, tranchant avec les grandes cités américaines. Harryhausen se rapproche de l'Europe où il va bientôt s'installer pour travailler et pour vivre.

Les trois films noir et blanc produits par la Columbia seront colorisés en 2007, notamment pour l'édition en DVD et Bluray. Dans les bonus, Harryhausen raconte que ces films n'ont été tournés en noir et blanc qu'à cause des raisons budgétaires qui règnaient au début des années 1950 dans les productions de série B. Lui, qui aurait préféré tourner en couleur se félicite aujourdhui de cette colorisation. Les annйes suivantes vont le libérer de cette contrainte. Ray Harryhausen donne le meilleur de lui-mкme en signant des Ñšuvres dans lesquelles il construit des univers de « fantaisie » peuplйes de crйatures mythologiques ou imaginaires, souvent inspirйes de Gustave Dorй pour lequel il ne cache pas son admiration. Ce sont les années londonniennes.

Ray Harryhausen et la maquette du squelette de The Seventh Voyage of Sinbad. film produit par la Columbia en 1958

LONDRES ET LE PASSAGE A LA COULEUR

Cyclope, dragon et aigle а deux tкtes dans The Seventh Voyage of Sinbad (Le 7иme Voyage de Sinbad. 1958) de Nathan Juran, Lilliputiens et gйants dans Les Voyages de Gulliver (1960) de Jack Sher, crabe et insectes monstrueux dans L’Ile mystйrieuse de Cy Endfield (1961), Colosse de bronze en mouvement et bataille de squelettes dans Jason et les Argonautes de Don Chaffey (1963). Tournés en couleur et enrichis par la musique inquiétante et grandiose de Bernard Herrmann (1911–1975) qui travaille à la même époque pour Hitchcock, ces films deviendront des classiques du cinéma fantastique. « Bernard Herrmann avait un esprit merveilleux pour la fantaisie, et sa musique collait parfaitement avec le type de films que nous faisions ». C’est à partir de cette période que Harryhausen vient s’installer à Londres (pour Gulliver et L’Ile mystérieuse), ville plus proche des lieux de tournage (Espagne, Italie). Il y vit encore aujoud’hui.

The Seventh Voyage of Sinbad de Nathan Juran (1958) - Premier film en Technicolor de Ray Harryhausen Affiche italienne

The Seventh Voyage of Sinbad de Nathan Juran (1958) - " Kerwin Matthews était un maître était un maître dans l'art de maintenir l'illusion de regarder exactement dans la direction du squelette "

SINBAD, CYCLOPE ET SQUELETTE

Deuxième collaboration avec Nathan Juran à la Columbia pour Ray Harryhausen, The Seventh Voyage of Sinbad. avec le fringant Kerwin Matthews (1926–2007) dans le rôle titre, est le premier film qu'il tourne en Technicolor. Et à la fin des années 1950, la couleur coûte cher pour un film de série B. "J'avais peur que cela ampute notre budget propre sur les effets spéciaux. raconte Harryhausen, mais nous avons eu finalement plus d'argent pour ce film que sur les précédents [650 000 dollars, contre 200 000 dollars dans It Came From Beneath the Sea ]". Charles Schneer a bien manœuvré. D'ailleurs pour des raisons économiques, les extérieurs sont tournés en Espagne. l'Alhambra de Grenade, les grottes de Arta à Majorque, aux allentours de Madrid et sur la plage de S'Arago au sud de Cadaques (Costa Brava), un décor que la production va réutiliser dans les deux films suivants. The Three World of Gulliver et Mysterious Island. Quelques scènes, inclus l'intérieur de la lampe magique, ont été finalisés à Hollywood.

Pour le vaisseau de Sinbad, Charles Schneer a obtnenu l'autorisation d'utiliser la réplique de la caravelle de Chrtisophe Colomb, la Santa Maria, ancrée dans le port de Barcelone, "bien qu'il n'ait pas vraiment l'allure d'un bateau arabe ". La quantité massive des effets mis en œuvre dépasse largement ceux de 20 Millions Miles to Earth où le seul personnage animé est Ymir (plus l'éléphant dans les scènes de contact entre les deux créatures). Dans The Seventh Voyage of Sinbad. il y a le Cyclope cornu, la danseuse aux quatre bras et à la queue de serpent (snakewoman), le dragon enchaîné dans la grotte,le rapace à deux têtes appelé Roc (versions bébé et adulte), le squelette armé d'un sabre et d'un bouclier, l'arbalète géante, les accessoires et les décors associés aux marionnettes, etc. Huit scènes d'incrustation par travelling matte ont été tournés par le procédé sur fond bleu de Technicolor à Londres.

Les scènes de Cyclopes tournées sur la plage de S'Arago - pour les extérieurs - sont très impressionnantes et ont de quoi marquer les jeunes spectateurs qui découvrent pour la première fois en 1958 des effets spéciaux aussi surprenants. Pourtant un film tout aussi spectaculaire avait su mettre en scène quatre ans auparavant le cyclope Polyphème, personnage tiré de L'Odyssée d'Homère dans le film Ulisse (Ulysse, 1954) des réalisateurs italiens Mario Camerini (1895–1981) et Mario Bava (1914–1980, non crйditй) avec la star américaine Kirk Douglas. Mais la technique employée par le truqueur Eugen SchÑŒfftan (1893–1977) consistait surtout à filmer d'une part l'acteur de péplums Umberto Silvestri (1915–2009) - interprétant Polyphème - maquillé avec une prothèse faciale et encontrechamps Kirk Douglas/Ulysse et ses compagnons ; une technique aux antipodes du concept de maquette de créature animée chère à Harryhausen.

La séquence spectaculaire pendant laquelle le personnage de Sinbad (Kerwin Matthews) se bat contre un squelette est une prouesse technique très innovante car les mouvements de l'acteur et ceux de la marionnette du squelette - filmée en stop motion séparément - devaient être parfaitements coordonnés tout en gardant la même fluidité. Comme Harryhausen le raconte lui-même c'était sa première expérience de "contact" en un acteur en chair et une créature animée séparément. Cela concerne les plans rapprochés où l'on voit très nettement qu'il s'agit bien d'un être humain et pas de sa réplique en latex, comme Harryhausen avait l'habitude de le faire pour les plans larges, dans les scènes avec le cyclope par exemple, ou avec le Ymir dans 20 Millions Miles to Earth.

La chorégraphie du combat était d'abord répétée avec beaucoup de minutie par Kerwin Mattthews avec son entraîneur le maître d'escrime olympique Enzo Musumeci Greco ; ce dernier prenant la place du squelette. C'est au cours d'une réunion avec Enzo Musumeci Greco que Harryhausen va mettre au point la synchronisation entre cette chorégraphie et la manière dont il pourrait animer le squelette exactement comme il le souhaitait. "Je devais m'assurer que Kerwin passe toujours derrière le squelette et jamais devant, car j'aurais dû alors faire appel à un travelling matte, ce que je voulais éviter ". Lorsque Kerwin mimait seul le combat, Enzo, à la cadence de huit temps, frappait dans ses mains pour piloter l'acteur dans l'enchaînement tous les gestes nécessaires, ni trop vite, ni trop lentement. En outre "Kerwin [ Matthews ] était un maître dans l'art de maintenir l'illusion de regarder exactement dans la direction du squelette ».

Lorsque tous les plans du combat étaient parfaitement calés, on filmait dans son décor réel (la grotte de Arta à Majorque) une version en noir et blanc du combat entre Kerwin et Enzo, puis on tournait la version couleur avec Kerwin exécutant exactement la même chorégraphie, mais sans Enzo. La version noir et blanc serait utilisée comme guide pour caler avec précision l'animation du squelette miniature en studio, et la couleur version serait utilisé plusieurs semaines plus tard pour l'assemblage final des deux prises de vue. acteur live et animation stop motion.

La scène du squelette, scandée par le "concerto pour castagnettes" et xylophone de Bernard Herrmann (référence à la Danse Macabre de Camille Saint Saëns) est restée pour les amateurs et les admirateurs de Ray Harryhausen un pur moment d'anthologie dans l'histoire du film fantastique. Une prouesse qu'il renouvellera dans Jason et les Argonautes. augmentant la difficulté en multipliant squelettes et acteurs ; préfigurant ce que les techniques par ordinateur vont apporter avec les images de synthèse trente ans plus tard.

Bernard Herrmann a composé la musique de quatre films de Ray Harryhausen. gйnйrique de Jason and the Argonauts

Quant au compositeur américain Bernard Herrmann, connu pour son travail avec Orson Welles (Citizen Kane, Magnificent Ambersons ), John Brahm (Hangover Square ), Joseph Mankiewicz (The Ghost and Mrs Muir ), Robert Wise (The Day The Earth Stood Still ), et Alfred Hitchcock (The Man Who Knew Too Much, The Wrong Man, et plus tard Vertigo, North By Nortwest, etc), sa méthode de travail suppose de dimensionner l'orchestre en fonction des dominantes dramatiques de chaque film. Dans The Seven Voyage l'orchestre traditionnel va être augmenté d'une large section de percussion et d'instruments à vents, bois et cuivres.

The Valley of Gwangi (La Vallée de Gwangi ) de James O’Connolly (1969 - Warner), design de l'affiche américaine de Frank McCarthy.

DYNAMATION. SUPERDYNAMATION, DYNARAMA

Dans Le 7иme voyage, Harryhausen va mettre au point une sйquence unique dans laquelle un acteur se bat contre un squelette, prouesse qu’il reprendra dans Jason en multipliant squelettes et acteurs, prйfigurant plus de trente ans avant ce que les techniques par ordinateur vont apporter, notamment avec les images de synthиse. Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de ces technologies numйriques actuelles, il rйpond « elles sont merveilleuses, mais faire un film de fantaisie ne nйcessite pas d’avoir l’air rйel comme un « kitchen-sink drama » ( dans le texte, voir plus bas), mais au contraire de donner l’impression d’un rкve, et je pense que si vous essayez de rendre trop rйel un film de fantaisie, vous perdez la poйsie que vous vouliez atteindre ».

Dynamation, SuperDynamation, Dynarama. « Charles Schneer et moi pensions que nous devions donner un nom а cette technique d’animation dimensionnelle (en volume) combinйe avec l’action rйelle. en contractant l’association des deux mots « dynamique » et « animation » cela donnait Dynamation, terme utilisй pour la premiиre fois dans Le 7иme Voyage de Sinbad. Ce qui nous nous a motivй а trouver ce nйologisme est qu’il nous permettait de nous dйmarquer de celui de « dessin animй » que les journalistes et critiques de l’йpoque employaient pour parler de la technique du stop motion – terme qu’en fait seuls les techniciens connaissaient ».

Puis les gens de la publicitй ont voulu donner encore plus d’emphase avec les deux films suivants (Gulliver et L’Ile Mystйrieuse) en donnant le nom de Super Dynamation. Quant au terme Dynarama (qui n’a plus rien а voir avec l’animation), c’est un procйdй liй au format Vista. Avec Gulliver, Harryhausen va se servir de la technique du « travelling matte » (diffйrent du split screen) qui permet de mйlanger par trucage optique deux photographies dans une mкme image avec des objets ou des personnages en mouvement. ce qui donne l’impression que ces acteurs ou objets (pris а des moments ou sur des lieux diffйrents) sont dans le mкme dйcor.

Il va se servir aussi d’un procйdй dit au sodium mis au point par les laboratoires Rank en Angleterre (une raison supplйmentaire pour venir а Londres faire Gulliver) qui utilise une prise de vue sur fond jaune, plutфt que la technique plus ancienne sur fond bleu. Cela permet notamment d’obtenir, grвce а un prisme, une incrustation optique instantanйe des deux images. par exemple l’une de l’acteur sur fond jaune, et l’autre du dйcor. « Ce qu’on fait aujourd’hui trиs facilement avec l’ordinateur ». Le fond jaune rend les travelling mattes plus simples а mettre en њuvre que les fonds bleus qui excluent l’emploi de surfaces bleues (vкtements ou autres), et rend l’effacement des cвbles plus facile aussi. Employйe encore sur les films suivants, la technologie sur fond jaune sera finalement abandonnйe au profit du fond bleu.

Dans ses derniers films, il va encore affiner ses techniques de stop motion jusqu’а Le Choc des Titans. Il n’a jamais travaillй pour la télévision.

COMMENT ORSON WELLES ET GEORGE PAL ONT PROPULSE RAY DANS LA LUNE…

Depuis longtemps Harryhausen voulait adapter un des romans de H.G.Wells (1866-1946) qu'il admire autant que son aîné Jules Verne comme écrivain de science fiction. Alors qu'il est encore sous les drapeaux, il conçoit l'idée d'adapter The War of Worlds (La Guerre des Mondes ) écrit par Wells en 1898 et dont l'action originale se situe dans l'Angleterre victorienne. On se souvient que le jeune Orson Welles (1915-1985), trois ans avant Citizen Kane. s'était fait connaître pour ses adaptations radiophoniques d'œuvres littéraires chez CBS. Un certain 30 octobre 1938, veille d'Halloween, Welles avait mis en scène La Guerre des Mondes avec une telle conviction qu'on raconte encore de nos jours (légende ou réalité) que des habitants du New Jersey crurent réellement à une invasion par des Martiens, créant par leur comportement un mouvement de panique en cascade dans d'autres états, Pennsylvannie, Dakota du Sud (voir la description détaillée qu'en fait André Bazin dans son ouvrage Orson Welles (Editions Chavanne, 1950). Influencé par le canular inattendu d'Orson Welles, Harryhausen trouve bonne l'idée transposer l'action en Amérique dans une version cinématographique.

Pendant plusieurs semaines de l'année 1949, juste après Mighty Joe Young. Ray Harryhausen, entreprend des recherches documentaires, s'inspirant notamment des couvertures d'Amazing Stories. réalise au fusain une douzaine de dessins, puis un storyboard décrivant une scène au cours de laquelle des êtres humains subissent l'attaque d'un Martien tentaculaire dans la cave d'une ferme. C'est à partir de ce storyboard qu'il réalise un bout d'essai de 4mn en 16 mm couleur ; premier travail technique qu'il va montrer très vite à Jesse Lasky Jr (1910-1988 - scénariste en titre de Cecil B. de Mille, et fils du co-fondateur de Paramount Pictures). Lasky Jr qui semble séduit l'encourage et garde le bout d'essai. Mais au bout de six mois d'attente, rien ne bouge chez les moguls de la Paramount, qui possède pourtant les droits des romans de H.G. Wells.

Ray Harryhausen écrit alors à Orson Welles, persuadé que l'ancien animateur radio de CBS se délecterait à revisiter La Guerre des Mondes sur grand écran. Car désormais Welles est un cinéaste prodigue qui a réalisé sept films depuis 1941 dont Citizen Kane, Magnificent Ambersons. The Lady from Shanghaï et Macbeth. non sans toutes sortes de difficultés. rappelons que le négatif de Citizen Kane (1941) a failli être brûlé à la demande de William Randolph Hearst, alors tout puissant de son influence sur les tycoons d'Hollywood et que La Splendeur des Ambersons (1942), remonté par Robert Wise à la demande du studio (en l'absence d'Orson Welles), a été un échec commercial qui aura coûté cher à la RKO. Néanmoins, en 1950, Orson Welles s'épuise à la réalisation d'un huitième film, Othello. deuxième adapation de Shakespeare commencée en 1949, production cahotique dont le tournage en Italie et au Maroc est constamment ralenti par des problèmes financiers. Pour y surseoir, Welles va faire l'acteur sur d'autres productions donnant la réplique à Tyrone Power successivement dans deux films à costumes de la Twentieth Century Fox. Prince of Foxes (Echec à Borgia. 1949) d'Henry King, et The Black Rose (La Rose Noire. 1950) d'Henry Hathaway. Au printemps 1950, le tournage d'Othello s'achève enfin, mais Orson Welles va devoir s'ateler à un montage compliqué de 2000 plans (contre 500 dans Citizen Kane ) qui va durer près de deux ans entre Rome, Londres et Paris. Othello sera présenté la première fois en clôture du Festival de Cannes 1952 qui lui attribuera un grand prix ex-aequo. C'est dans ce contexte mouvementé que la missive de Ray Harryhausen arrive chez le fanstasque Orson Welles …et restera sans réponse. Rendez-vous manqué.

Début octobre 1950, Harryhausen se retourne alors vers Frank Capra, toujours disposé à recevoir son ancien assistant de Why We Fight. Ils évoquent ensemble le devenir de l'industrie du cinéma et en viennent à parler de George Pal, producteur de Destination Moon (Destination … Lune. 1950), réalisé par Irving Pichel. Pal, le vieux mentor passionné comme lui de films fantastiques, semble l'homme désigné pour vendre son projet de The War of Worlds à la Paramount. Mi-octobre il retrouve Pal dans les prestigieux studios de Melrose Avenue, lui montrant ses travaux personnels d'animation (Mother Goose Stories et le premier des Fairy Tales ), y compris les dessins préparatoires, le story board et le bout d'essai de 4 mn de l'attaque des Martiens. Les deux hommes s'apprécient mutuellement et discutent pendant des heures technique d'animation de figurines image par image pour le projet The War…. Quelques semaines plus tard, après visionage du matériel laissé par Harryhausen, George Pal émet des réserves, notamment sur Little Red Riding Hood. tout en lui demandant encore de garder ses films pour les montrer à d'autres huiles qui pourraient l'engager pour le projet de film d'animation Tom Thumb. Mais il semble clair qu'aux yeux de Pal le jeune Ray (qui a alors 30 ans) n'est pas encore exactement à la hauteur d'un long métrage fantastique pour une Major du prestige de la Paramount.

Avec ou sans Harryhausen, George Pal veut d'ailleurs faire aboutir The War of Worlds auprès du studio, bataillant avec un autre producteur (Robert Fellows), concurent sur le même projet chez Paramount. Le jeu se poursuivra dans la cour des grands. deux ans plus tard, George Pal, vainqueur, finit par produire The War of Worlds (1953) réalisé par Byron Haskin, avec Gene Barry (futur Homme à la Rolls de la série TV des années 1960). La production prévoit une équipe de nombreux techniciens chargés des effets spéciaux et des effets visuels optiques. Harryhausen referme temporairement la parenthèse Wells, reste beau joueur en reconnaissant le résultat spectaculaire de Pal sur les "machines volantes" du film et retourne à ses Fairy Tales.

Des années plus tard, Harryhausen va se pencher sur un autre roman de H.G. Wells avec The Time Machine écrit en 1985. Hélas, c'est encore son vieux mentor George Pal qui le coiffe au poteau en produisant et réalisant The Time Machine (La Machine à explorer le Temps. 1960) avec Rod Taylor et Yvette Mimieux, pour la Metro Goldwyn Meyer qui en avait racheté droits d'adaptation. Ray Harryhausen va alors se tourner vers une œuvre moins connue du romancier anglais. The First Men in the Moon écrit en 1901, soit tout juste un an avant la sortie du film de Georges Méliès, Le Voyage dans la Lune (1902) adapté lui-même du roman de Jules Verne datant de 1865, De la Terre à la Lune .

Off the Record avec Ray Harryhausen

Tyrannosaurus kills the Triceratops Illustration de Ray Harryhausen pour le projet du film The Valley of the Mist de la Paramount. Autographe sur une carte du Momi éditée à l'occasion de l'expositon Creatures of Fantasy au MOMI (Musée du cinéma), Londres Octobre 1989- mars 1990. © Ray Harryausen.

Fantasy versus Kitchen Sink Drama

« Nous avons fait des films pendant une pйriode oщ les effets spйciaux n’йtaient pas trиs populaires. C’йtait des films de fantaisie (fantasy) alors que les « Kitchen Sink Drama *» йtaient а la mode, des Ñšuvres dйprimantes du genre La Solitude du coureur de fond (The Loneliness of the Long Distance Runner. Tony Richardson, 1962). »

(*) Par ce terme Kitchen Sink (évier de cuisine) Ray Harryhausen s'en prend aux drames empreints de réalisme social réalisés par la génération des "jeunes gens en colère" (Young Angry Men) du cinéma britannique au tournant des décennies 1950-1960. Tony Richardson, Lindsay Anderson, Karel Reisz, Clive Donner.

"Au Royaume-Uni, le terme Kitchen Sink a йtй utilisй pour la premiиre fois en 1954 par le critique David Sylvester qui, а propos d'un tableau de John Bratby, s'йtait йcriй. “[Il] nous emmиne des studios vers la cuisine [et dйcrit ses sujets] comme un inventaire qui inclut tous les genres de nourritures et de boissons, chaque ustensile et outil, les meubles ainsi que les couches pour bйbй. Tout sauf l'йvier de la cuisine. Si, l'йvier de la cuisine aussi. » " (tiré de De John Grierson а Danny Boyle, Naissance et postйritй de la British New Wave par Yannick Deplaedt, Cadrage Eté 2009 )

Un fils spirituel. Phil Tippett, artisan de Jurassic Park

« J’ai rencontrй Phil Tippett, il a fait de trиs beaux films de dinosaures pour la tйlйvision ; il a un magnifique sens du mouvement des animaux ». « Les images de synthиse sont un juste un nouvel outil et elles sont tout а fait impressionnantes dans des films comme Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993). Et j’ai йtй йpatй, je dois le reconnaоtre, car je leur trouvais auparavant plutÑ„t un look de dessin animй, avec un rendu plat. Jurassic Park m’a prouvй que j’avais tort et a constituй une avancйe considйrable pour ce genre de film. »

Copier la réalité n'est pas une nécessité

« Mais, comme je l’ai dйjа dit, je ne pense pas que le but de ces films soit de vouloir copier la rйalitй. C’est comme demander а un peintre de reproduire un paysage comme avec un appareil photo. Mais les dinosaures n’existent plus et si on peut les reprйsenter de la faзon la plus rйaliste, c'est mieux. Mais pour un sujet de fantaisie, l’animation stop motion conserve quelque chose d’йtrange et d’onirique qui йchappe au rйalisme (…) D’ailleurs certains animateurs ou marionnettistes comme Jim Henson (1936-1990) ou d’autres continuent d’utiliser des marionnettes pour faire des films. Toutes les techniques peuvent co-exister. Il est vrai que l’ordinateur permet de tout faire. on peut voir un homme voler, cela n’a plus rein d’exceptionnel. ».

Jugements sur Independence Day et le remake de King Kong (1976)

« ID4 (Independence Day. Roland Emmerich, 1996) est un film trиs impressionnant avec toutes les techniques d’effets visuels et sonores des annйes 1990. Mais si vous commencez а analyser le scйnario, alors lа … (…) Le premier King Kong avait une naпvetй qu’on ne peut plus reproduire aujourd’hui. Le remake (King Kong. John Guillermin, 1976) m’a laissй froid, car il n’y plus le sens de la fantaisie, mкme entre le gorille et la jeune femme (Jessica Lange). »

Gustave Doré, "premier directeur artistique pour le cinéma"

« Dans le premier (King Kong, 1933), il y avait tous ces йlйments de fantaisie comme les dinosaures et cette jungle mystйrieuse (…) Gustave Dorй, dont Willis O’Brien disait qu’il йtait son mentor, est pour moi le premier directeur artistique pour le cinйma car tout le monde а Hollywood s’en est inspirй pendant les annйes 30 et 40 comme Cecil B. De Mille avec ses films bibliques. Dorй est vraiment le pиre de ce mйtier. »

De Ronald Colman à Bruce Willis…le vieux Hollywood. royaume de l’Amйrique

« Le vieux Hollywood nous avait habituй а nous donner de l’espйrance а travers ses films. comйdies musicales, stars ; Hollywood йtait une espиce de "royaume de l’Amйrique". Nous avions des Ronald Colman, Cary Grant ou David Niven. Tout зa est fini maintenant, il n’y a plus de hйros gentlemen de cette trempe (а part quelques exceptions). Bruce Willis, Silvester Stallone et Arnold Schwartzenegger sont les trois hйros de la gйnйration d’aujourd’hui. »

« Je suis inquiet aujourd’hui de la nature des sujets qui sont portés au cinéma. tout y est violent, dépressif et exagérément négatif, comme Reservoir Dogs (Quentin Tarentino, 1992), par exemple (…) Les films ont leur part de responsabilitй dans le phйnomиne de dйtйrioration de notre sociйtй. Nous йtions tellement impressionnйs par les films que nous voyions et la maniиre dont les actrices comme Veronica Lake ou Betty Grable s’habillaient ou se coiffaient. L’influence du cinйma s’exerce encore de nos jours, mais le bombardement permanent de violence et de sexe contribue de dйtйriorer la sociйtй en laissant croire а la jeunesse qu’il n’y a rien d’autre. »

Steven Spielberg et George Lucas

« J’aime bien Spielberg et Lucas qui ne font pas des films dйpressifs, trиs populaires. Ceux de Spielberg sont très différents et uniques. »

« Je n’ai jamais dirigй de films moi-mкme car je crois que je n’aurais pas su diriger les acteurs, je ne suis pas assez psychologue. Je n’ai jamais eu la patience. Cela demande certaines qualitйs que je n’ai pas. »

Petite anecdote. « le crabe géant animé dans L’Ile Mystérieuse a été acheté chez Harrods (le célèbre grand magasin de Londres). »

« Mon film préféré est Jason (et les Argonautes) qui est le plus accompli. »

Propos recueilli par Jean SEGURA

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